L'Atmosphère
L'image se fige, et même si c'est de façon presque inattendue,
on sait que c'est fini, que le film s'arrête là. Avant
même de faire un quelconque commentaire, la première
chose qui retentit dans la pièce sombre est un soupir. Long,
et lourd de soulagement. Le coeur reprend un rythme normal, la respiration
se débloque, et tout le corps se détend à travers
ce seul soupir.
On sait alors ce qui nous marquera le plus et qui nous fera longtemps
repenser à Giorgino. L'angoisse, la tension, l'atmosphère
oppressante qui nous tient en haleine durant tout le film, malgré
les quelques longueurs et la durée inhabituelle. C'est ce qui
ressort avant tout. Cette intensité qui prend à la gorge
et ne lâchera prise que plusieurs heures plus tard.
Il faut dire que tout est fait pour entraîner le spectateur
même le plus réticent. Les images, tout d'abord, sont
splendides. Obscures, angoissantes, ou belles tout simplement, étudiées
jusque dans le moindre détail. Un univers farmerien, sans aucun
doute, avec le cimetière de Regrets, les plaines neigeuses
de Tristana, qui s'étendent à l'infinie, la mort,
la maladie, la folie. Difficile de ne pas reconnaître la griffe
de Laurent Boutonnat !
Mais plus que les paysages, ce qui rend le film si intense, et ce
qui est encore plus propre à Laurent, c'est bien sûr
la musique. La bande originale de Giorgino, qui dégage
une atmosphère dérangeante. Soignée, d'une beauté
sombre et mélancolique, d'une sobriété touchante.
Elle reste ce qui définit le mieux l'histoire de Giorgio et
de Catherine, de ce petit village perdu et de ses habitantes étranges
et inquiétantes.
L'Essence
du film
Giorgino est un film surprenant
et totalement à part, dès le début. Dès
la première image, en fait. Quand on met la cassette dans
le magnétoscope, s'attend-on en effet à voir apparaître
le visage sérieux et attentif d'un petit garçon
? S'attend-on à ce plan pour le moins déroutant
? Plan qui finit par se déplacer, pour nous montrer le
visage de Giorgio, en une prise qui fait ressortir la complicité
évidente qui naît sous nos yeux entre l'homme et
l'enfant. Bien sûr, ce n'est pas innocent. C'est une manière
de poser dès les premières secondes l'un des traits
de caractère les plus importants de Giorgio : son amour
pour les enfants, qui va le conduire à Chanteloup, et
à sa passion pour Catherine.
Première
image dans un hôpital, et l'une des dernières vraiment
marquantes également dans un hôpital. L'impression
que l'histoire a tout simplement fait une boucle. Que la vie
de Giorgio a fait une boucle, qui s'amorce quand il croise pour
la toute première fois le regard noyé et perdu
de Catherine, et qui s'achève par sa mort, quand son corps
l'abandonne entre les bras de son amour déchu.
C'est là l'un des points forts du film, qui laisse entendre
que la volonté presque indestructible de Giorgio ne peut
rien face à la maladie qui, ici, finit par avoir raison
de la faiblesse humaine. Et ce qui est tragique, alors, c'est
que Giorgio cesse de lutter au moment même où son
amour pour Catherine ne rencontre plus aucun obstacle ! Mais
pouvait-il en être autrement, venant de Laurent Boutonnat
?
Finalement, d'une manière plutôt ironique, ce sera
la maladie mentale, la folie douce de Catherine qui lui sauvera
la vie, et ce sera la maladie de Giorgio, comprise de tous, qui
lui coûtera la sienne ! On peut se demander si Laurent
n'a pas donné volontairement à son film un ton
dramatique en faisant mourir Giorgio. Mais quand on réfléchit
bien, il est difficile d'imaginer une autre fin. Bien sûr,
même si l'histoire d'amour est secondaire dans Giorgino,
elle n'en est pas moins primordiale, en tant que trame du film,
et surtout parce que l'amour est ce qui va motiver et soutenir
Giorgio jusqu'à son dernier souffle ; comme un moteur
puissant qui ne s'arrêtera qu'avec les derniers battements
de coeur du jeune homme.
Mais la maladie est plus forte que l'amour. Et Giorgio ne pouvait
que mourir. Parce que son amour pour Catherine avait quelque
chose de bien trop dérangeant, ambiguë, de presque
immoral. Parce que Catherine, femme enfant, vit un amour qu'elle
ne comprend pas, dans son ignorance de l'amour physique.
En fin de compte, il désire éperdument une femme
qui rit encore devant un simple baiser, mais recule quand il
lui est destiné ou se fait insistant. Voilà en
quoi la fin ne pouvait être autre. Cela fait que c'est
une histoire d'amour poignante et impossible, bouleversante et
intense, dont la mort est l'aboutissement tragique mais inévitable.
Et pourquoi, finalement, "Il est certaines histoires
dont personne ne souhaite être le héros."
Parallèlement, un reproche toujours d'actualité
ressort de Giorgino. Reproche fait à la société
qui, depuis qu'elle existe, tend à détruire systématiquement
tout ce qu'elle ne comprend pas, par peur autant que par lâcheté.
Et cette incompréhension entraîne inévitablement
une violence et un rejet plutôt qu'une aide, qu'une main
tendue vers l'autre, aussi différent soit-il. Et qui est
la cause même, dans le film, de la mort d'une grande partie
de cette société sclérosée. En effet,
ce n'est rien d'autre que le rejet cruel des villageoises qui
pousse Catherine dans ses derniers retranchements, la mettant
hors d'elle et l'incitant à courir dans l'église
pour souffler les cierges, dressés là comme symbole
de chaque homme parti au combat. Il ne restera qu'une seule flamme.
Et un seul homme rentrera des tranchées. Un seul...
Bien sûr,
on peut se demander pourquoi Giorgino n'a pas su trouver
son public s'il ne présente que peu de défauts
pour tant de qualités. A cela, une seule réponse
: si Giorgino n'a pas trouvé son public, c'est
sans doute simplement parce qu'il est bien trop farmerien, sombre
et torturé. Ce côté angoissant, cette façon
de flirter avec la folie s'ajoute à la longueur inhabituelle
du film pour en faire une oeuvre réservée à
un public averti. Mais cela n'enlève rien de la beauté
troublante et de l'intensité oppressante de Giorgino.
Laisse le vent emporter tout...
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