Nous sommes en septembre 1994. C'est après la projection à la presse du film que Laurent Boutonnat et Mylène Farmer (Jeff Dahlgreen également avec l'aide d'un interprète) vont accorder chacun leur tour une interview dans un restaurant parisien au magazine "Nostalgie".

 

 

 

 

Journaliste : Avez-vous voulu faire un film sur les conséquences de la guerre de 14 ? L'après...

Laurent Boutonnat : En fait non, parce je ne pense pas que se soit le sujet du film, la guerre de 14. Mais pour répondre à ça c'est toujours difficile de dire ce qu'on a voulu faire précisément. On en prend souvent conscience après. Mais au départ on fait souvent avec des choses qui sont pas tout à fait rationnelles ou pas tout à fait analysables immédiatement... les histoires qui vous touchent. Mais moi je suis au départ beaucoup plus touché par une histoire humaine, et tout le reste fait partie de cette histoire... Mais ce n'est pas pour moi un film sur la guerre de 14, ou l'après guerre de 14... mais ça a à voir avec l'ensemble de l'histoire.

J. : Alors pour vous c'est l'amour qui prime ?

L.B. : Oui... l'histoire d'amour... Il y a plein de choses, c'est difficile de tout vous dire d'un coup comme ça mais c'est beaucoup plus les aventures intérieures, les aventures humaines, et tout ce qui se dégage de ça qui moi m'intéressent dans cette histoire, même si ça touche à d'autres choses. C'est vrai que ça touche aussi à la guerre, ça touche à... Mais tout ça fait partie d'un ensemble qui est pour moi l'histoire de cet homme, et l'histoire ensuite, de cet homme et de cette jeune fille. 

J. : La Slovaquie est issue d'un souhait de délabrement ?

L.B. : (rires) Qu'est ce que vous voulez dire par là ? Par rapport aux décors et tout ça ?

J. : Oui, et la tension bien sûr...

L.B. : En fait, c'est plus la Tchécoslovaquie dans son ensemble. On a tourné en Slovaquie en fait tout ce qui était : la neige, la montagne et par contre tous les décors naturels comme l'asile, ces vieilles rues et tout ça, c'était du côté Tchèque. Parce que c'est vrai que là bas, comme d'ailleurs dans la plupart des pays de l'Est, il y a des décors qu'on ne trouve plus ici. Justement parce qu'ils sont dans un état de délabrement incroyable. Il y a des choses superbes et on ne trouve plus ça en France. Tout est restauré ou bien, si c'est très beau à l'intérieur vous avez tout à coup un lampadaire orange ou un truc qui ne va pas du tout. Et c'est vrai qu'il y a aujourd'hui que dans ces pays là où on retrouve des ambiances de décors et d'architectures européennes dans un état lamentable. Mais en même temps c'est superbe et j'adore ça. Les décors et tout cas...

J. : Pourquoi vous n'avez vous pas situé précisément dans l'espace le lieu où l'action est censée se passer ?

L.B. : Vous voulez dire le situer par rapport à une ville existante ?

J. : Oui, ou à une région, tout ça ?... Faire abstraction de toute notion dans les dialogues pour qu'on arrive pas à...

L.B. : Oui, je ne crois pas que se soit très important en fait. Historiquement, le film se passe en France à la fin de la guerre de 14, il y a plein de raisons pour ça. Mais ça aurait pu se passer en Russie en 17, ça aurait pu se passer en langue russe, ça aurait pu se passer... vous voyez ? C'est à dire que je pense que se sont des lieux imaginaires, si on veut trouver une situation en France par rapport à cette période, par rapport au front, par rapport à plein de choses on peut la situer certainement dans l'Est de la France, mais je crois que ce n'est pas très important. En plus tous les lieux prononcés dans cette histoire sont imaginaires, ce sont peut être des noms de ville en France mais qui ne sont pas du tout choisis. Et je pense que ça n'a pas vraiment d'importance. D'où l'utilisation de la langue anglaise.

J. : Pourquoi ?

L.B. : Je vous dirais pourquoi après mais au delà du pourquoi, je ne trouve pas très importante la langue au cinéma. Pour la bonne raison qu'en fait le film en Italie il sera en italien, en Allemagne il sera en allemand, au Japon il sera en japonais, vous voyez ? Et ça ne me dérange pas du tout la langue. Sauf pour certains types de films... par exemple Jean De Florette, où là c'est impensable que se soit en anglais parce qu'il y a tout un côté régional qui fait que la langue fait vraiment partie de l'ensemble. Mais là ça aurait pu être en Italien, en Russe, en Tchèque... en français (rires). Si la langue anglaise a été utilisée c'est surtout en fonction du casting parce que les acteurs que je voulais dans ces rôles là sont anglo-saxons. Et ce qui a fait basculer tout le film dans la langue anglaise c'est le choix de l'acteur principal qui s'avère être américain. Après un très long casting en Europe et aux États-Unis. Et c'est plus compliqué de faire tourner une majorette anglo-saxon en français que l'inverse. Ca a été plus facile que les acteurs français tournent en anglais que l'inverse.

J. : Et il y quand même un certain nombre de copies V.O. qui vont sortir ? V.O. anglaise en France ?

L.B. : Et bien j'espère... je ne sais pas exactement mais là est tout le problème. Souvent les V.O. sont destinés à Paris et j'ai le souvenir d'avoir vu des films en V.O. à Lyon et à Toulouse. Mais il y a peu de villes en V.O. en France, mais ça vous le savez mieux que moi...

J. : Mais le point de départ c'est quoi exactement ?

L.B. : Si je le savais ! (rires) Le point de départ... Au départ ça part de choses absolument bizarres. Un producteur un jour qui m'appelle, il avait vu des clips à la télévision et m'a dit : "- J'aime beaucoup ce que vous faites..." et il me proposait de l'argent et un contrat pour écrire un film. Alors genre je l'ai jamais vu mais peu importe (sic). En tout cas cette chose a fait que ça m'a excité et avec un ami qui est devenu le co-scénariste de ce film qui s'appelle Gilles Laurent, j'ai ressorti un très vieux projet que j'avais écrit à l'âge de 18 ans qui s'appelait déjà Giorgino mais qui n'a rien n'a voir au final avec le film qui existe maintenant. Et j'avais fait lire ce script en lui disant : Voilà j'aimerais bien remanier ce script qui était écrit à l'âge de 18 ans qui était un peu simple et pas très élaboré. On est reparti de cet ancien projet, j'en ai gardé certainement l'essence, le fantasme, le truc qui excite un peu l'imaginaire quand on a envie de faire un film. Et après vous dire comment c'est né.. c'est très étrange... (silence) De quoi naissent les histoires ? C'est très difficile. Jamais je ne me suis dit par exemple "je vais raconter l'histoire d'un type qui va faire ceci pendant la guerre". Pas du tout. Ca part au départ d'envies. vous savez par exemple vous avez envie de neige, vous avez envie de tempête, vous avez envie de vieilles maisons, vous avez envie d'amour, vous avez envie de violence... je crois que les films partent de ça au départ, avant même de devenir une histoire. A partir du moment où on conçoit l'histoire... Alors souvent on vous prend pour un fou quand vous dites "au départ j'avais une envie de..." (rires) et puis il y a des choses que je peux pas vous dire parce que c'est tellement exagéré que ça serait...

J. : Et le premier Giorgino, ça racontait quoi ? Vous aviez écrit quoi ?

L.B. : Alors le premier Giorgino était une histoire en fait très simple. Une histoire d'amour entre un homme et une femme. Et c'était un huis-clos entre ces deux personnes dans une maison, et en fait c'était une espèce de... appelons ça un film de terreur un peu psychologique. Tout le film, cet homme passait de l'amour fou et du désir pour sa femme à une peur panique de sa femme. C'est à dire que tout ce qu'il aimait chez elle devenait un objet de terreur et se finissait dans un drame terrible. Et on ne savait jamais si cette femme devenait vraiment monstrueuse ou si lui devenait fou. Bon, je vous le raconte mais c'est un truc que j'aimerais bien faire un jour...

J. : Ca tourne toujours autour de la folie vos sujets non ?

L.B. : Ah ? Et bien peut-être oui... C'est peut-être pas la folie... Enfin la folie fait partie de ça mais il y a deux choses en fait. J'ai du mal à analyser ce que j'aime, c'est toujours un peu dur mais c'est l'équilibre, plus que la folie. C'est l'équilibre qu'il y a entre la réalité et l'à côté de la réalité. Et souvent quand on regarde les choses un tout petit peu de côté, ça fait peur, ou on parle de folie... vous voyez ? C'est la folie qui est la frontière de ce qui est l'anormalité et la normalité.

J. : Quand même ce qui est étonnant c'est quand le producteur vous appelle en vous disant "je vous propose un film" et qu'automatiquement vous avez la réaction "je sors un vieux scénario, il s'appelle Giorgino". Pourquoi vous avez eu le besoin de ressortir ce scénario écrit a 18 ans ?

L.B. : Et bien parce que c'est une idée que j'aimais bien au départ, et puis j'avais pas 40 projets sous le bras parce qu'il faut dire que Giorgino était écrit il y a 7 ans, 8 ans ! Enfin... la première mouture, ça a été retravaillé depuis. Et puis au départ il m'a dit "est ce que vous avez un projet à me montrer tout de suite ?" donc moi j'ai sorti ce vieux projet que j'avais et dont j'aimais bien l'idée en tout cas. Alors je pense que de ce premier projet sont restés des éléments sur effectivement la folie, le rêve et la réalité, l'amour et la terreur. Enfin des choses comme ça quoi... Et c'est devenu complètement autre chose. Et par quelle magie j'en sais rien...

J. : C'est le seul projet dans les cartons ou il y en a beaucoup d'autres ?

L.B. : Non, j'avais écrit un autre script, j'avais cet âge là à peu près. D'ailleurs c'est marrant ce que vous dites parce que c'était une espèce de grande histoire familiale terrible, terrible (rires). Et je ne me souviens plus du détail de cette histoire mais je pense que ce premier Giorgino et cet autre script mis ensemble, ce n'est pas Giorgino du tout mais ça a quelque chose à voir dans certaines choses sûrement. C'est ça qui fait que finalement il y a des choses qu'on est obligé de faire dans la vie, qui sont nécessaires. Et je ne sais pas pourquoi. Parce que ce film, ça a été extremement dur à monter, parce que personne n'en voulait. Enfin, ce n'est pas que personne n'en voulait mais financièrement ça faisait peur, le sujet faisait peur.

J. : Donc le premier producteur qui vous a contacté n'était pas preneur ?

L.B. : Je suis resté assez longtemps avec lui, et il me disait "on va le faire, on va le faire... " et il ne le faisait jamais... Alors on faisait des études financières, on faisait des préparations, on faisait des repérages, on faisait des tas de trucs comme ça et ça traînait toujours. Alors comme moi je n'avais pas d'urgence à l'époque - parce que comme je travaillais avec Mylène, j'avais un travail fou avec les disques, les clips, les tournées etc... - je voyais pas l'urgence de tourner. Ca se reportait, je faisais : "- Bon ben là il y a une tournée alors je ferais ça l'année prochaine". Et en fait un jour ce producteur, alors que tout était prêt, chiffré... ne se décidait toujours pas à produire. Alors là je l'ai quitté parce que je ne suis aperçu qu'il ne voulait pas ma lâcher en fait, mais il ne voulait pas produire le film. Quand vous quittez un producteur sur un film aussi lourd, important, vous ne changez pas de producteur comme ça. Donc après j'ai travaillé sur d'autres projets parcequ'on me disait "- Oui, mais fais un film plus simple d'abord, un peu moins cher, et ensuite tu vends ton film, le film que tu as envie de faire..." Alors à la fin vous baissez les bras vous dites "Ah ben oui, c'est pas possible, donc c'est pas possible." Donc j'ai travaillé sur d'autres projets, des adaptations de livres d'ailleurs. Et en travaillant sur d'autres projets, je revenais toujours dans les mêmes émotions, les mêmes univers, c'était toujours... Et jusqu'au jour où quelqu'un m'a dit "- Mais tu as un film qui est écrit, pourquoi tu ne le fais pas ?" Et le fait de me dire ça tout d'un coup, je me suis dit : "Mais oui, pourquoi je le fais pas ? Je vais le produire moi même."

J. : Oui, c'est ça, vous l'avez produit vous même...

L.B. : Oui, Ca n'a pas été simple mais je me suis dit je vais le produire, je vais aller voir des gens. Et donc après un an d'aller retours un peu partout j'ai réussi à monter ce film avec le concours de Polygram. Enfin tout ça pour vous dire qu'à un moment c'est nécessaire. Je ne sais pas comment vous le dire mais il y a des choses qu'on doit faire et on doit passer par là. Je ne sais pas quel sera l'avenir de ce film et comment ça va se passer mais voilà.

J. : Et pour vous, dans vos idées de départ, Mylène Farmer a toujours été Catherine ? Vous deviez faire un film avec elle ?

L.B. : Je ne peux pas vous dire oui comme ça, je ne peux pas vous répondre non non plus. Mais il y a eu un tel travail en commun pendant des années que il n'y a pas un moment ou je me suis dit "- Tiens, ça va être Mylène qui va faire ce rôle", et non plus je l'ai écrit pour Mylène". Donc la question ne s'est pas vraiment posée en fait. Elle faisait partie de ce projet comme elle fait partie d'une grande partie de ma vie, comme dans le travail, comme dans... Et puis au delà de ça, je pense que ce rôle est vraiment pour elle, même si je pense qu'il n'a pas été écrit au départ pour elle ; Même si j'en suis le co-scénariste donc il y a forcément à voir avec ça (rires). Je ne vois pas quelqu'un d'autre quoi.

J. : Et pourquoi vous pensez que c'est pour elle ? Qu'est ce qui vous fait penser ça ?

L.B. : Parce que c'est ce type de personnage comme ça, c'est quelque chose qui est proche d'elle dans ses perceptions des... Elle n'est pas comme ça dans la vie bien sûr, c'est un rôle, elle joue mais je pense qu'il y a certaines... Enfin je dis ça, j'en sais rien ! Elle fera peut-être une comédie !...

J. : Mais vous l'avez senti comme étant... (Laurent acquiesce) Alors qu'est ce qui fait que vous l'ayez senti comme étant elle ?

L.B. : Ce n'est pas comme étant elle. Je pense qu'elle est beaucoup plus sensible, donc beaucoup plus proche d'elle pour interpréter un rôle comme ça.

J. : Quels sont les éléments du rôle qui sont proches d'elle ? Sa vie ?

L.B. : Ce n'est pas la vie, c'est pour ça que c'est difficile à exprimer parce que "dans la vie" non. Elle n'est pas comme ça dans la vie Mylène, elle n'est pas... Quoi que... (rires). Je pense qu'il y a des points communs, c'est ce rôle. Enfin vous verrez avec elle tout à l'heure, elle vous dira peut-être "non, mais ça n'a rien à voir avec moi, j'ai fait mon travail." Je pense avoir avec elle par rapport à la sensibilité, par rapport à l'intérêt et la fascination qu'elle peut avoir pour une certaine folie, pour l'enfance. C'est ça quoi : l'enfance, le monde intérieur et tout ce qui a trait à ça : des rêves aux cauchemars les plus terribles, aux peurs de l'enfance, à la folie de l'enfance, à l'autisme peut-être aussi...

J. : Est-ce qu'on soigne toujours les malades comme dans votre film ? Jusqu'en 14, on l'a fait ?

L.B. : Alors jusqu'à quand exactement... Ce qui est intéressant dans cette période de l'histoire, c'est que ça a été un peu la charnière du XXe siècle cette guerre. D'un côté il y avait un progrès qui commençait à arriver avec l'électricité, avec les prémices de la psychanalyse, mais la psychiatrie : c'était le XIX e siècle ! Vraiment ! Alors jusqu'à quand ça a duré je ne sais pas, c'était peut-être encore le cas en 25, en en 30, j'en sais rien ça jusqu'à quand ce type de méthode s'est arrêté. En tout cas les douches froides ça existe encore mais plus dans des baignoires avec des... Mais ça existe encore. La façon dont on traitait les fous et la façon dont on les soignait était extrêmement barbare. C'est pour ça que c'est curieux cette période. Mais enfin bon l'électrochoc commençait à arriver, c'est quand mêmepas plus... C'est moins sale si vous voulez... Mais c'est quand même...

J. : Qu'est ce que vous avez lu comme livres documentés là dessus ?

L.B. : Pour ce film je n'ai pas lu spécialement des choses mais dans ma vie je me suis beaucoup intéressé à la psychiatrie, à la psychiatrie enfantine, à la psychanalyse, à plein de choses. Mais pour ce film, je ne me souviens plus des livres que j'ai lu. Je ne me rappelle plus des titres, mais j'ai lu un livre sur la folie pendant la guerre de 14-18, et sur l'énormité de la folie déclenchée par la guerre. Les hôpitaux c'était effrayant ! C'était plein de gens qui devenaient fous à cause de la guerre, mais beaucoup plus qu'à la seconde guerre mondiale. Des vrais cas de folie, des gens qui pètaient les plombs à cause de la guerre. Il y avait des psychoses et des paranoïas terribles. Je le comprends parce que c'était une guerre en plus... C'était la dernière guerre moyen-âgeuse. Bien sûr que toutes les guerres sont des horreurs mais la guerre de 40 était "un peu plus propre" alors que la guerre 14-18 c'était terrible.

J. : Et le choix de l'acteur américain ? Comment l'avez vous choisi ?

L.B. : En fait c'est un casting. A un moment donné, comme ce film s'est monté d'une façon très bizarre financièrement - c'est à dire qu'il ne correspond à aucune logique économique du cinéma actuel en France - parce qu'il a été entièrement financé par Polygram et par moi-même, sans aucun autre partenaire, à part Canal +. Donc, comme il n'y avait plus d'obligation qui sont d'avoir une star ou un nom connu dans le rôle principal, je me suis dit "je vais vraiment" chercher le rôle. A partir de là on a fait des castings en France, en Angleterre et aux États-Unis, et c'est lors d'un bout d'essai aux États-Unis avec une quinzaine ou une vingtaine de jeunes acteurs américains, on a fait passer des bouts d'essai. En revenant à Paris j'ai regardé ces bouts d'essai et là Jeff m'a... c'est incroyable ! Alors qu'il ne m'avait pas du tout impressionné pendant les bouts d'essai mais en le revoyant en vidéo, il était très sobre. Alors que les autres acteurs étaient très à l'américaine vous voyez ? Ils étaient au bord des larmes, ils faisaient des gueules et tout, lui rien. Et je l'ai revu en vidéo et tout d'un coup, là... il n'y avait que lui, une espèce de photogénie.

J. : Il a fait d'autres choses avant cela ?

L.B. : Non, il est vierge. C'est quelqu'un qui est totalement vierge. Sauf bien sûr, il a fait du théâtre, il a fait ce que font tous les jeunes acteurs américains, c'est à dire un peu de tout, je crois de la musique... Je crois même qu'il était dans un groupe punk-rock, et il a fait un peu de théâtre à New-York, je crois qu'il a fait des pubs, il faisait un peu de tout pour vivre... Mais c'est tout, c'est le premier gros truc qu'il fait dans sa vie.

J. : Et en face de lui vous avez des grands pros comme Joss Ackland, Frances Barber. Comment ça se passe avec eux alors ?

L.B. : Ca s'est très bien passé. Bon... après il y a des acteurs qui sont plus emmerdants que les autres (rires) vous voyez ?

J. : C'est à dire ? les noms ! (rires)

L.B. : Oh je dirais pas de noms. Je pourrais vous en donner mais c'est pas très intéressant. Vous avez deux types d'acteurs : vous avez effectivement des acteurs qui sont des vieux pros mais dont certains sont extraordinaires. Par exemple Louise Fletcher elle est extraordinaire. Cette femme qui a une carrière, qui pourrait faire chier et caetera, c'est un bonheur pour un réalisateur. Elle se laisse guider, elle se laisse complètement aller, elle ne discute pas, elle propose des choses quand elle semble... et souvent c'est très juste. Et ça c'est vraiment un bonheur : Quelqu'un qui ne cherche pas à avoir des explications rationnelles précises, elle se laisse guider. A la limite elle pourrait travailler son script je pense. Et ça c'est un bonheur. C'est le cas de Mylène et de Jeff qui eux sont tous frais, ils se laissent guider. Et ça c'est la plus grande qualité pour un acteur : se laisser guider, parce que même si ils connaissent leur rôle ou qu'ils savent ce qu'ils font ils ne peuvent pas vraiment le savoir et la seule personne qui peut le savoir je pense c'est le réalisateur. Parce qu'on peut mentir aux acteurs, on peut leur faire lire un script, changer tout au dernier moment, donc il faut qu'ils se laissent guider. Et puis vous avez d'autres types d'acteurs... comme Joss par exemple (rires) (l'abée Glaise), qui est formidable au demeurant, même Frances qui est une actrice que j'aime beaucoup, qui fait la bonne, qui sont des gens qui sont difficiles mais pas dans le mauvais sens. C'est à dire qu'ils ont besoin de discuter. Tout le temps. Et pour une raison, c'est que je pense qu'ils se font leur propre mise en scène du rôle. Et en général ils ont tout faux parce qu'un acteur se fait toujours une fausse représentation de lui même et de son rôle. Je pense que les acteurs ne peuvent pas vraiment percevoir- même s'ils pensent le percevoir - ce qu'ils sont et ce qu'ils vont être dans un film. Alors se mettre en scène tout le temps, s'imaginer... Joss Ackland par exemple : pour moi ça a toujours été dans ce film un curé de campagne simple, plein de bon sens, simple. Et je pense qu'il a toujours pensé - et il le pense encore - pendant ce film, qu'il était un mec vachement intelligent, vachement intellectuel, très "pasteur protestant" vous voyez ? Alors que c'est ça que j'aime bien chez lui et dans ce rôle, c'est ce côté bonhomme, un peu à côté de la plaque, mais touchant, humain.

J. : Oui, vous avez réussi à lui tirer ça quand même, je trouve...

L.B. : Oui, oui, mais c'est pour vous dire que c'était pas simple tous les jours.

J. : Et Jean-Pierre Aumont ? C'est vous qui l'avez souhaité Jean-Pierre Aumont ? C'est sa voix à Jean-Pierre Aumont ou il a été doublé ?

L.B. : Ah oui, Jean-Pierre Aumont je l'ai voulu, il est incroyable ce type ! Il a été doublé en anglais oui...

J. : Ah c'est pas lui ? Pourquoi vous l'avez doublé parce qu'il aurait pu le faire en anglais...

L.B. : Le seul problème, c'est pour une raison d'accent. Il parle très bien l'anglais Jean-Pierre mais il a un accent très français. Or, c'est tout le problème des versions anglaises quand on est avec plusieurs acteurs de différentes nationalités, c'est l'accent. Et pour qu'une histoire soit crédible, autant ça ne me choque pas des français ou des gens qui ne sont pas anglo-saxons, mais pour des gens anglo-saxons, avoir un film où les gens du même village parlent avec des accents différents... Vous avez Louise Fletcher avec un accent américain, les femmes du village avec un accent anglais, Jeff avec un accent américain, Mylène avec un accent "mid-altantique" comme on dit, c'est un peu américain un peu anglais vous voyez, on ne sait pas...

J. : Alors vous avez doublé tout le monde ?

L.B. : Non, mais il y a eu un travail sur le tournage avec un coach, Louise Vincent qui a essayé d'aligner les accents. C'est à dire que les américains ne soient pas trop américains, que Jeff ne soit pas trop (il fait un charabias avec l'accent américains), que Louise Fletcher...

En fait ils viennent de Los Angeles Jeff et Louise Fletcher, donc ce sont des accents assez clairs, ce sont des accents du cinéma américain des années quarante, c'est à dire qu'on comprend tout. Ce qui était le plus compliqué c'étaient les anglais, qui eux ont des accents très prononcés donc il a fallu les "neutraliser".

J. : Alors évidemment vous avez du doubler la voix de Jean-Pierre Aumont. Il y en a d'autres ?

L.B. : Il y a Jean-Pierre Aumont et il y a plein de petits rôles qui étaient Tchèques, quelques rôles français et même une actrice anglaise qui a été doublée, parce qu'elle avait un accent qu'elle tenait et qu'elle ne pouvait pas enlever.

J. : C'est quand même international comme casting...

L.B. : Oui, américain, tchèque, français, anglais... Mais ça j'aime bien. Mais Jean-Pierre Aumont est incroyable comme type, incroyable... Il est incroyable ! C'est un monsieur qui a pas loin de 85 ans je crois, pas loin, 83 ou quelque chose comme ça. Et il a une magie, dans ce film, il a l'air totalement dans un autre monde.

J. : Ca n'a pas été trop dur le tournage pour lui parce qu'il y a certaines scènes qui sont... quand vous le jetez dans l'eau...

L.B. : Non, ça n'a pas été facile parce que, quand même, toutes ces scènes extérieures dans la neige... On avait quand même souvent -20°C, entre -10 et -20 souvent le matin, ça se levait un peu après mais il ne bronchait pas quoi, il était assez incroyable. Alors on le mettait avec des grosses couvertures des trucs comme ça, entre deux prises... (rires) Je pense qu'il a du souffrir mais en même temps il ne le marquait pas. C'est ça qui a fait qu'on était dans un autre monde.

J. : Une dernière question pour Laurent, une question purement technique : est-ce qu'il y a une symbolique dans la scène finale où le cheval va boire l'eau bénite ?

L.B. : Oui. Enfin sûrement. Je ne suis pas toujours très conscient de mes symboles vous savez... Ce qui était important pour moi à la fin, c'était la solitude de ce cheval les yeux bandés dans cette église.

C'est marrant que vous me posiez cette question parce qu'il y a un technicien Tchèque - ça ça m'avait impressionné - qui m'avait posé cette question car ça l'avait choqué. Vous savez ils sont très catholiques.

Et ce n'est pas que ça les avait choqué mais il voulait savoir. Il voulait comprendre. Et ce que je lui avait dit à l'époque, c'est que le fait que ce cheval boive dans le bénitier à quelque chose à voir pour moi avec une lueur d'espoir, quand même. Mais après on peut broder des heures sur le fait que ce soit un bénitier, de l'eau bénite... A la limite vous, vous pourriez en parler des heures. Moi aussi, mais c'est très difficile pour moi de vous dire...

J. : Un cheval noir, de l'eau bénite... Vous l'avez fait dans quelle volonté ?

L.B. : Vous voulez dire une volonté de choquer c'est ça ? (rires)

J. : Non, justement, parce que c'est quand même la scène finale du film. Vous savez pertinemment que ça va faire parler.

L.B. : C'est l'épilogue (long silence) Que voulez-vous que fasse ce cheval devant un Christ sans tête, avec les yeux bandés ? Il lui reste plus qu'à boire l'eau... C'est la seule chose vitale, c'est pour ça que je dis que c'est la vie qui reste. C'est la seule chose qui va lui permettre de vivre encore quelques heures...

 

 

 

 

Journaliste : Vous abordez le cinéma comme la chanson ? Avec la même approche ?

Mylène Farmer : C'est un travail différent. L'émotion est prodigieuse en scène. Donc je crois qu'émotionnellement il est difficile de rencontrer quelque chose de plus fort que la scène. Maintenant d'un point de vue plus ludique, c'est un métier passionnant. Difficile et passionnant.

J. : Laurent Boutonnat viens de nous dire que le rôle était très proche de vous. Vous le sentez comme ça ?

M.F. : On va dire que ça n'engage que lui. (rires) Je ne me sens pas radicalement opposé au personnage de Catherine. Je ne suis pas Catherine, peut-être avons nous en commun cette fragilité et cette colère rentrée qu'elle a en elle. Cette sensation parfois de n'avoir pas ou d'être pas comprise et d'avoir un comportement parfois irrationnel ou différent, et qu'on aime bien condamner, peut-être, ça... Et puis définitivement certainement l'enfant qui est en Catherine et que je retrouve dans mon jeu...

J. : Et la "colère rentrée" que vous avez en vous, vous l'avez contre quoi ?

M.F. : Contre la vie en général. Une colère en moi, quelque chose d'assez violent contre... l'injustice certainement, et la vie en général, la difficulté de vivre et toutes ces choses là. Ce n'est pas passif, voilà.

J. : Comment ça c'est passé l'écriture du scénario ? Vous étiez impliquée dedans ?

M.F. : Du tout, du tout. Laurent Boutonnat a écrit son scénario, ses personnages, on en a très très peu parlé et mon souhait était de lire le scénario fini, terminé.

J. : Est ce que vous avez une tendresse particulière pour certaines scènes ?

M.F. : Me concernant ou du film en général ?

J. : Une scène que vous aimez...

M.F. : J'aime une partie du film qui est la réanimation. J'aime aussi bien d'un point de vue narratif, ... Toute cette partie où Marie, la gouvernante, devient complètement folle, elle est à l'extérieur, la réanimation, ce que ça suppose également. Je trouve ce passage vraiment magnifique.

J. : Comment se fait le passage du clip au film, c'est d'une chose où on doit faire passer beaucoup de choses en un temps limité, à un film, qui à la temps d'installer un personnage...

M.F. : J'allais dire sans prétention aucune, très naturellement. Si ce n'est que c'est vrai qu'il y a toujours une frustration dans un clip parce qu'il n'y a pas la parole - si ce  n'est qu'il y a les mots d'une chanson et qu'on a pas le temps de développer un personnage -. En tout cas c'est très concis. Donc il y a plus une "frustration d'actrice" dans les clips. Et puis cette envie aussi dans le fond d'interpréter quelqu'un d'autre que soit. Ca s'était fondamental pour moi. Même si bien évidemment il y a des choses que j'ai puisé en moi. C'est quand même un personnage qui n'est pas le mien.

J. : Et l'envie de passer au cinéma date de loin pour vous ou pas ?

M.F. : J'ai été très attiré par le cinéma bien avant la chanson. Et quand j'ai rencontré Laurent Boutonnat, notre naissance a été la chanson. Une naissance commune sachant qu'on pouvait aussi s'exprimer au moyen des clips. Ca c'est très important pour moi. Avec toujours cette idée qu'un jour on ferait quelque chose. Lui en tout cas un film et moi également. Ensemble ou non.

J. : Donc c'étaient des idées de départ que vous avez réalisé...

M.F. : Oui, oui, absolument. Notre rencontre... Ces deux passions là étaient en chacun de nous. Je l'ai réellement décidé. Je savais que c'était capital pour moi et pour mes films.

J. : Ca a été dur de ne plus totalement maîtriser ce que vous alliez donner à voir ?

M.F. : Justement de n'avoir plus ces inhibitions qui font partie de moi dans la vie de tous les jours. C'est à dire de baisser les bras et de se dire "maintenant laissons nous porter". Et c'est quelque chose d'assez difficile. Mais en aucun cas il n'y a eu de conflit ou de chose comme ça.

J. : Et c'est la première fois dans votre carrière où vous vous laissez porter complètement ?

M.F. : Oui. C'est à dire cette volonté que de ne pas tout contrôler. Sachant que c'est un travail commun malgré tout avec Laurent. Avec mes propres décisions, mes textes, et des choses quand même qui m'appartiennent. Maintenant sur un film, j'étais "au service" d'un metteur en scène.

J. : Oui, mais un metteur en scène que vous connaissez bien quand même...

M.F. : Bien sur mais ça c'est...

J. : Est-ce que vous avez refusé des rôles déjà avant ?

M.F. : Oui, on m'avait proposé quelques rôles avant, que je n'ai pas accepté parce que je ne trouvais pas ce que je voulais. Mais j'aurais pu commencer avec quelqu'un d'autre oui.

J. : Quel genre de film aimez vous voir ? Quels réalisateurs ?

M.F. : J'aime beaucoup de réalisateurs, donc je peux vous donner une palette de réalisateurs. J'aime beaucoup Spielberg. Je dirais que tous les Spielberg, à part peut-être Jurassic Park qui ne m'a pas vraiment touché, mais tout s'estime. J'aime David Lean profondément, David Lynch, Oliver Stone, Jane Campion découverte il y a longtemps quand elle avait fait son premier film que j'avais vraiment adoré. Il y en a tellement...

J. : Vous allez les voir en salle ou à la télévision ?

M.F. : Non, je vais les voir en salle, parce que la télévision dénature quand même beaucoup. J'aime bien aller au cinéma.

J. : Pourquoi avez-vous refusé les films qui vous avaient précédemment été proposés ?

M.F. : Soit parce que les metteurs en scène ne m'attiraient pas, ou des rôles qui ne meplaisaient pas. Maintenant c'est difficile parce que je ne vais pas vous dire quoi, qui et pourquoi...

J. : Mais quels genres de rôles ont vous a proposé ?

M.F. : A l'époque de Sans Contrefaçon, c'était un rôle sur l'androgynie, à l'époque de Libertine c'était un rôle un peu plus dénudé...

J. : On en a connu d'autres à votre place qui font à la fois même temps chanteurs, acteurs, et même quelquefois présentateurs de télés...

M.F. : Et qui se cassent la gueule. (rires)

J. : De qui voulez vous parler ? (rires) C'est assez étonnant de voir que vous délaissez quand même une carrière, que vous en commencez une autre, alors que beaucoup à votre place se seraient dit : "Je vais tout faire en même temps"...

M.F. : Pour des choses un petit peu moins élevées, déjà point de vue technique, Laurent Boutonnat étant le compositeur, s'il décide de faire un long-métrage en aucun cas je ne peux le perturber et lui dire "Voilà, maintenant faisons un album !"

J. : Vous pouvez aller en voir d'autres compositeurs.

M.F. : Je n'en ai pas eu envie. (silence) Je n'en n'ai pas envie. Et quand à essayer d'expliquer la scène par exemple, c'est quelque chose pour moi qui ne peux en aucun cas être routinier. Une fois de plus ça n'engage que moi c'est très personnel. L'émotion que j'ai eu au travers de la scène, c'est quelque chose que je ne pourrais pas ressentir de le même façon éternellement. Je le sais. Donc j'ai le sentiment aujourd'hui, puisqu'on en parle, que je ferais peut être une deuxième scène, et peut-être plus jamais...

J. : Vous avez peur de gâcher les moments rares ?

M.F. : Évidemment il y a le risque que les choses s'affadissent... Mais je n'en ferais jamais trop je le sais aussi, je pense que j'aurais le même comportement ou appréhension par rapport au cinéma qu'à la chanson, bien évidemment.

J. : Et à la scène ?

M.F. : On peut voir ça comme ça aussi oui. Tout ça c'est conflictuel aussi, parfois on se dit qu'on aimerait bien penser un peu autrement, ou vivre les choses un petit peu moins intensément ou violemment – parce qu'au fond le résultat est violent - à savoir qu'une scène ou deux ou trois dans une vie d'artiste c'est peu.

J. : Ce que vous recherchez finalement c'est la pureté ?

M.F. : C'est difficile de s'attribuer ses mos là pour soi mais oui, 'est préserver un sentiment. C'est vrai que je ne voudrais pas arriver et avoir le sentiment que de tricher ou que de ressentir à peu près mais pas tout à fait. Ca c'est quelque chose qui réellement tuerais ma vie d'artiste, ce ressentiment. Définitivement. Ca paraît toujours très dramatique quand j'emploie des mots comme ça mais c'est réellement ce que je pense.

J. : Vous dites que vous faites peu de choses pour vous expliquer. Et pourtant on a l'impression que c'est utile pour vous qu'on vous voit énormément, et on a l'impression que vous êtes très présente. Il y a comme un paradoxe. On dirait que vous dites ne pas vous montrer pour faire bien, mais en même temps vos clips, et on a l'impression que vous êtes tout le temps là ! Je m'en plains pas. Vos clips sur les chaînes de télé, beaucoup en passe.

(Mylène essaye de répondre mais se fait couper la parole) Et quand on parle aux photographes de presse, ils nous disent "Mylène Farmer , elle est très difficile à photographier." Alors vous préservez votre image, encore un élément là. (Mylène essaye à nouveau de parler, en vain).

Est ce que vous jouer avec votre image ? Comment vous gérez votre image ? Vous êtes quelqu'un qui n'existez que... Pour beaucoup de gens vous êtes quelqu'un... Vous avez cité des trucs tout à l'heure comme Libertine, vous représentez quelque chose...

M.F. : Je crois que l'image a été très importante, le clip est né il n'y a pas très longtemps. Pour ma carrière ça a été très important. Maintenant quand à une difficulté que de me photographier ou de m'interviewer, ça a été une décision de ma part parce que c'est un moyen d'expression pour moi qui est très facile, c'est quelque chose que j'appréhende. Je n'aime pas parler de moi.

J. : Ca commence bien là...

M.F. : Oui bien sur... Mais en ce sens j'ai préféré faire le minimum.Quand aux photos c'est pareil, Avec les journaux  ou la presse il eut y avoir une exploitation qui est outrancière et dérangeante, c'est quelque chose que je ne veux pas m'autoriser. Donc c'est quelque chose que j'ai refusé également. Peut être aussi parce que le contrôle m'échappe. Parce que c'est difficile de demander à un journal de contrôler tout. Maintenant c'est un peu orgueilleux aussi, si des photos sont faites j'estime que j'ai le droit de choisir ces photos là, en tout cas de donner mon avis ou de demander tel ou tel photographe ; donc en général ce sont des choses qui ne sont pas acceptées.

J. : Mais il y a une différence entre dire "je veux choisir les photos" et refuser les photographes !

M.F. : (énervée) Je vais vous dire une chose. Il y a aussi beaucoup de choses qui se disent et qui n'existent pas aussi ! J'en veux pour preuve une séance de photo que j'ai fait il y a deux jours qui s'est très bien passé. Et le soir quelqu'un qui travaille à mes cotés m'appelle et me dit : "Non mais qu'est ce qu'il s'est passé pendant cette séance de photos ? Tu as refusé d'aller faire des photos dans les jardins du Luxembourg !" Et c'est né de nulle part ! Donc pour vous dire que j'ai moi même des informations d'un comportement qui n'existe pas. C'est à dire dans le fond plus vous êtes silencieux plus on vous reproche ce silence et on essaie de vous attribuer des comportements excentriques.

J. : Et ce veut dire certainement plus intéressés.

M.F. : Appelez ça comme vous voulez c'est parfois véhément... Un silence provoque une réaction et provoque parfois une animosité.

J. : Alors comment faites vous pour monter sur scène, continuer à donner des interviews ?...

M.F. : Là je parle de nature profonde, non pas de marketing ! Si c'est sa nature profonde, la nature l'accepte. Je crois que je ne sais très bien répondre à cette question, parce que c'est comme ça. Parce que je ne peux pas faire autrement.

J. : Ca peut très bien être du marketing.

M.F. : Non parce que le marketing ça peut marcher 1 an, 2 ans ou 3 ans mais pas sur la longueur, ça, ça n'existe pas. Du marketing il y en a toujours dans une carrière. Que ce soit dans un film, que ce soit dans la chanson, pour tous ces moyens d'expression. Le marketing existe on ne peut pas le nier, l'occulter. Maintenant dans ces choses là non définitivement, ce n'est pas du marketing. Et d'ailleurs je ne cherche pas à me justifier par rapport à ça !

J. : Mais on ne vous demande pas de vous justifier, on vous pose des questions sur ce qui vous rend différente de beaucoup d'autres dans le show-biz. Qu'est ce que vous avez prévu comme promotion pour Giorgino ?

M.F. : Je crois que je vais faire les journaux de 20h00, ce sont là aussi des choses qui sont brèves, concises. Avec Patrick Poivre d'Arvor et puis aussi Antenne 2 et puis je ne sais plus.

J. : Le journal de 20h00, ou ici même pour vous ou pour Laurent Boutonnat ce n'est pas un plaisir alors de répondre ?...

M.F. : Là maintenant tout de suite sans pas parler de plaisir mais c'est plutôt agréable, si ce n'est que j'espère arriver à répondre à vos questions. Dire que je le fais spontanément : non. Définitivement pas.

J. : Vous portez souvent ce genre de vêtements ?

M.F. : Non. (rires) Bizarrement j'ai eu ça je crois il y a dix ans et je ne les ai jamais portés, j'ai décidé de les mettre aujourd'hui.

J. : (ironiquement) Un évènement ! C'est pour nous. Dans l'avenir immédiat vous retournez dans la chanson ?

M.F. : Oui je pense. A moins d'une proposition fulgurante au cinéma.

J. : (toujours ironiquement) Spielberg ? Jurassik Park 2 de Spielberg ? Ils font un casting en ce moment. Ca vous manque la chanson ? Dans combien de temps la sortie.

M.F. : Oui. Oui. Je ne sais pas, j'avoue que je n'ai même pas la notion du temps. Pour un album dans environ 4 ou 5 mois. Puis la préparation d'une scène peut-être un an je ne sais pas.

J. : Est ce que vous allez voir les autres sur scène ? France Gall ou...

M.F. : Précisément France Gall non. Je vais peu dans les spectacles. Non pas par manque d'interêt mais parce que je ne m'y sens pas bien. Les lieux où il y a beaucoup de monde.

J. : Alors quand vous même montez sur scène ?

M.F. : Quand on est sur une scène et qu'on voit beaucoup de monde c'est rodigieux quand on est assis et que fatalement on vous repère, j'ai toujours un petit peu de mal. Mais ça m'arrive d'y aller. Mais ces deux dernières années quasiment personne. J'aurais adoré voir Nirvana et je regrette.

J. : Et à aucun moment il n'a été question que vous enregistriez ne serait-ce que la musique du générique du film, une chanson dans le film ?

M.F. : Oui, il y eu à un moment un souhait de Laurent Boutonnat d'avoir de choses vocales, plus que des mots. Parce que des mots je pense que ça aurait été une erreur. Mais finalement ça ne c'est pas fait pour pour des emplois du temps différents, et finalement il a choisi des chœurs d'enfants et il a eu raison (rires) et c'est magique. Mais essayer de faire une chanson à mon nom et essayer après de la mettre en clip...

J. : Oui par exemple.

M.F. : Non je pense que ce film ne méritait pas ça. Non. Je voulais dire qu'il n'avait pas besoin de ça, j'ai fais une confusion.

J. : Que pensez vous de la musique de Laurent ?

M.F. : Je la trouve très belle, très belle.

J. : En tant qu'actrice vous vous préparez comment à un rôle comme celui là ?

M.F. : Pas de préparation, j'ai juste demandé à un psychiatre d'assister à des entretiens avec des malades.

J. : Vous avez pût le faire ? Ca vous a apporté quoi ?

M.F. : J'avais envie de voir pour trouver une gestuelle à Catherine qui était particulière. Donc je savais que je pouvais observer ça. C'est plus pour une gestuelle que pour tout autre chose. Et uis parce que le sujet est passionnant.

J. : Ces entretiens ça se passait comment vous étiez assise à côté du docteur ?

M.F. : Oui c'est ça j'avais une blouse blanche donc j'aurais pu être un quelqu'un de l'hôpital.

J. : Donc des malades qui se sont fait auscultés par Mylène Farmer il faut le savoir ! (rires)

M.F. : Oui il est malheureusement difficile d'y trouver un sourire alors... C'était en milieu hospitalier, ça a été relativement bref et j'ai essayé d'être le plus discret possible. Mais c'est troublant, troublant...

J. : Ca se passe comment ce genre d'entretiens ?

M.F. : Ce sont des entretiens très cours, en tout cas cette journée là avec des personnes très diverses, qui ont fait des choses très diverses aussi, pour certaines qui ne sortiront probablement jamais. Et puis vu de l'extérieur on a une vue complètement faussée. C'est à dire qu'on lui donnerait son bon de sortie immédiatement. Et puis ces des gens qui sont sous l'emprise des médicaments alors c'est faussé.

J. : Ca doit quand même être quelque chose de très choquant, soit de très bouleversant.

M.F. : Oui, parce que ces gens là aussi - Je fais référence à une personne lors de ces entretiens qui avait beaucoup d'humour - et c'est vrai qu'à un moment donné, c'est déjà très oppressant pour soi et qu'on se prend à rire ou à éclater de rire avec la personne et que dans le fond c'est tout sauf ça qu'il faut faire parce que c'est donner raison à cette personne. Alors qu'on est hors de ce monde.

J. : C'est quel genre de personne les patients ?

M.F. : Des hommes et des femmes. D'âges très différents.

J. : C'est vous qui avez eu le besoin...

M.F. : De cette démarche ? Oui j'avais envie. Vous dire que j'étais persuadée d'y puiser quelque chose pour Catherine, ça c'était l'inconnu. J'ai vu par exemple pour les main, ça c'est quelque chose que j'ai retenu. Car ces malade ont souvent la tête baissée et ont une, j'allais dire une hystérie, en tout cas une raideur dans les mains, toujours les doigts très écartés. Pas des choses molles, toujours des choses très tendues. Donc c'est peut-être quelque chose que j'ai essayé de retenir.

J. : Et pourquoi ?

M.F. : Je n'ai pas posé la question. Et puis je crois qu'on est soi même quand on est dans une tension nerveuse on a des choses qui se raidissent c'est presque naturel, sauf que eux c'est décuplé. Et puis c'est l'inquiétude qui arrive dans les gestes et dans les mains et le regard. Ces malades c'est les yeux et les mains, le reste est plutôt inerte. C'est bouleversant, c'est perturbant, et puis on se sent totalement inutile c'est la chose la plus inutile. Après on lit un tas de choses.

J. : Vous avez grandi à Paris ?

M.F. : Non au Canada. A Montréal.

J. : Vous en êtes revenue très tôt ?

M.F. : J'ai passé 9 ans là bas.

J. : (inaudible)

M.F. : Du tout ! (rires)

J. : Qu'est ce que vous espérez du film ? Que vous allez avoir plein de propositions ?

M.F. : J'espère réellement qu'il rencontrera un public dans un premier temps, c'est vraiment mon souhait principal maintenant. Dans un deuxième temps oui, j'espère qu'il m'apportera d'autres rôles. Mais ma vraie angoisse c'est ça.

J. : C'est à dire que si ça devient un échec vous le ressentirez très mal ?

M.F. : Très certainement comme un échec personnel oui. Même si dans le fond je ne suis pas responsable dans le fond. Mais oui.

J. : Vous irez le voir en salle ?

M.F. : Je ne sais pas (rires) Peut-être...

J. : Le poids du film c'est aussi lourd sur vos épaules que le poids d'un disque ?

M.F. : Non, parce que le poids du film est quand même bien distribué, il y a quand même le personnage de Giorgino qui est très important. Et puis...

J. : Vous savez quand même que le gros de la promotion va être fait sur votre nom.

M.F. : C'est vrai, il me semble que le disque est plus dur à porter pour moi, plus lourd. Je crois que je vais presque me contredire, les deux sont très durs et très angoissants.

J. : Ca fait une différence ?

M.F. : Pas réellement parce que mon implication est de la même ampleur. Si ce n'est que dans la chanson il y a mes mots, mon écriture. Dans le film les mots de m'appartiennent pas.

J. : C'est bizarre ça pourquoi vous n'avez pas essayé d'être co-scénariste ?

M.F. : Parce que je pense qu'à un moment on se perd. Parce que je n'ai pas ce talent tout simplement et qu'à un moment donné je préfère que quelqu'un s'occupe de moi un peu. Non, j'ai cette envie d'avoir quelqu'un vous dise "Voilà j'ai pensé à toi, j'ai écris quelque chose, j'ai donné ces mots au personnage, débrouille-toi avec."

J. : Vous pourriez avoir exactement la même envie pour la chanson ?

M.F. : Jamais non. Sinon je n'aurais pas fait ce métier.

J. : C'est à dire que vous êtes prête à vous abandonner quand vous êtes actrice mais pour chanteuse vous avez besoin de tenir les rennes du métier ?

M.F. : J'ai besoin d'écrire mes mots pour donner ce que j'ai envie d'y donner, sinon ça ne m'intéresse pas.

J. : Et pourquoi pas donner des mots pour un film ?

M.F. : Non, non.

J. : Et Laurent Boutonnat fait de la promotion, des tournées ?

M.F. : Non jamais Je crois qu'il doit recevoir une chaîne.

J. : Il est connu en Tchéquie ?

M.F. : Il est toujours surpris d'être reconnu, mais c'est quand même très modéré.

J. : Il n'a pas fait de conférence de presse ?

M.F. : Mais le propos n'était même pas celui là. Vous savez on était dans des lieux tellement retirés du monde qu'on a pas été vraiment confronté à la promotion.

J. : Vous faites partie des chanteuse à fan, qui sont l'objet de vénérations... Vous n'avez pas peur de ne plus arriver à gérer ça ?

M.F. : J'ai fait attention à ça. Si ce n'est que c'est quelque chose qu'on ne maîtrise pas de toute façon, si ce n'est en refusant de faire un fan club. Voilà. Parce que je pense que ça ne me convenait pas. Maintenant que de rencontrer des personnes et leur comportement. Il y a toujours des choses qui vous dérangent mais pas pour soi, qui vous dérangent pour ces personnes là. Parce que ces personnes là sont très malheureuses et peuvent rester des journées entières parfois des nuits à attendre quelque chose. Donc si je peux le donner sur un très court instant je vais le donner. Je préfère. Maintenant c'est vrai qu'on ne peux pas donner à tout le monde parce que c'est...

J. : Vous imaginez par exemple les chambres de jeunes avec des centaines de photos de vous, des T. shirts ?…

M.F. : Je ne veux pas penser à ça.